L’histoire de Carrefour est l’une des plus grandes sagas entrepreneuriales de la France du XXe siècle. Elle est le fruit d’une rencontre fortuite, d’une vision audacieuse et d’un esprit d’innovation qui ont radicalement transformé le paysage de la distribution. Tout commence en 1959, dans le contexte d’une France en pleine mutation économique. La rencontre a lieu au sein du «Gagmi» (Groupement d’achats des grands magasins indépendants) entre deux forces complémentaires : d’un côté, Marcel Fournier, un entrepreneur dynamique et propriétaire d’un magasin de nouveautés à Annecy, et de l’autre, la famille Badin-Defforey, d’importants grossistes en alimentation basés à Lagnieu. Cette alliance entre le sens du commerce de détail de Fournier et la puissance d’achat des Defforey va poser les fondations d’un futur empire. L’étincelle initiale provient d’un obstacle : lorsque Marcel Fournier souhaite développer son activité à Annecy, il se heurte au refus des centrales d’achat traditionnelles de l’approvisionner. Loin de se décourager, il se tourne vers ses nouveaux partenaires, la maison Badin-Defforey.

Cette collaboration donne naissance, en janvier 1960, à une modeste épicerie installée dans le sous-sol du magasin de Fournier. Le succès est immédiat et dépasse toutes les attentes. Très vite, les fondateurs comprennent qu’ils tiennent un concept prometteur et qu’il faut voir plus grand. Ils ouvrent alors le premier véritable supermarché Carrefour, situé à une intersection stratégique d’Annecy, un «carrefour» qui donnera son nom à l’enseigne. Mais la véritable révolution est encore à venir. Marcel Fournier, lors de ses voyages aux États-Unis, étudie avec attention les nouvelles méthodes de distribution américaines, notamment les grands magasins en libre-service et les «discount stores». Il est convaincu que ce modèle peut être adapté et amélioré en France. C’est de cette conviction que naîtra le concept qui fera la renommée mondiale de Carrefour : l’hypermarché. Le 15 juin 1963, à Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, le premier hypermarché d’Europe ouvre ses portes. C’est un choc culturel et commercial.

L’innovation de l’hypermarché reposait sur une combinaison de plusieurs concepts révolutionnaires pour l’époque, qui ont immédiatement séduit une clientèle en quête de modernité et de pouvoir d’achat.

  • Le «Tout sous le même toit» : Pour la première fois, les consommateurs pouvaient trouver un assortiment immense de produits alimentaires et non alimentaires dans un seul et même lieu. Finie la tournée des multiples petits commerces (boucher, boulanger, quincaillier) ; l’hypermarché offrait un gain de temps et une commodité sans précédent.
  • Le Libre-Service Intégral : En généralisant le modèle du libre-service à tous les rayons, Carrefour a pu réduire drastiquement ses coûts de personnel, une économie directement répercutée sur les prix de vente.
  • Les Prix Bas : Grâce aux volumes d’achat massifs et aux coûts de fonctionnement optimisés, Carrefour a pu proposer des prix défiant toute concurrence, devenant un puissant levier de son attractivité.
  • Le Grand Parking : Les fondateurs ont compris l’importance de l’automobile dans la société émergente. L’immense parking gratuit à l’entrée était un élément clé pour attirer les familles venues des zones périurbaines.

Le succès est foudroyant. Le modèle de l’hypermarché est rapidement dupliqué. Un autre magasin ouvre à Villeurbanne, puis un autre à Vénissieux en 1966. C’est pour l’inauguration de ce dernier qu’est créé le logo emblématique de la marque, conçu par Étienne Thil et Jacques Daniel : un losange aux couleurs du drapeau français, rouge et bleu, formant par un effet d’optique la lettre «C» en son centre. Cette identité visuelle forte accompagnera l’expansion fulgurante de l’entreprise. Cette période fondatrice est au cœur de l’histoire de carrefour. Elle témoigne d’une capacité unique à sentir les évolutions de la société et à y répondre par des innovations radicales. La saga Carrefour ne faisait que commencer, mais ses fondements, basés sur l’audace, l’écoute du client et l’efficacité, étaient déjà solidement établis.